Inégalités et hiérarchie dans l'océan Indien (Anjouan, Comores)

Les rapports sociaux prévalant à Anjouan opposent, selon les termes locaux, citadins dominants (kabaila) et ruraux dominés (wamatsaha). Cette opposition radicale a été mise en lumière lors de troubles tels que la crise séparatiste des Comores de 1997 (prise d'indépendance des îles d'Anjouan et de Mohéli de la république fédérale islamique des Comores), ou la « crise » migratoire provoquée par la départementalisation en 2011 de Mayotte, celle des quatre îles des Comores restée française. Les termes de « kabaila » et « wamatsaha » sont alors brandis comme autant d’accusations ou utilisés comme des insultes, sur les blogs en ligne par exemple, les wamatsaha contestant la légitimité des kabaila, et ces derniers taxant les ruraux de manque d’éducation et de grossièreté. Par-delà cette opposition simpliste, ce livre revient sur la formation des rapports sociaux et des inégalités qui se sont articulées, aux différentes époques, à la production de cette hiérarchie solidement établie. Révélant la gamme des positions sociales en donnant à entendre le point de vue de toutes les catégories, il analyse les fondements de la domination kabaila en examinant les formes capitalistiques de l’économie précoloniale au sein de vastes réseaux régionaux, la nature du régime politique insulaire et le rôle de l’islam, notamment de la qualité de sharif, dans l’élaboration de ce statut. La relative réorganisation de l’islam local par l’expansion des confréries au moment de la colonisation révèle un potentiel réformiste qui prend de nouvelles formes dans l’islam contemporain. La scolarisation et l’accès au savoir écrit occidental, clé d’accès à une mobilité sociale et spatiale, ont été à la fois un monopole jalousement gardé par les kabaila pour conserver leur position, et la condition pour les wamatsaha d’un possible affranchissement de leur subordination, si tant est que les fondements de celle-ci aient réellement disparu.